Le clown :  une figure ambivalente

Le clown :  une figure ambivalente

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Le personnage initialement comique du clown, baptisé encore « pitre » ou « paillasse », avec ses accoutrements très colorés, ridicules et trop grands, ses farces et attrapes ou encore ses tartes à la crème, s’est affirmé au cours du temps comme une figure bienveillante, du moins au cirque et en milieu hospitalier. Progressivement, son image est devenue inquiétante, voire effrayante. Voici un petit tour des diverses formes que le clown a pu prendre à travers le temps.

 

Un large spectre de représentations

L’origine initiale du clown remonte au temps des bouffons des cours royales, et s’inscrit notamment dans l’héritage de deux personnages datant du XVIème siècle, issus de la Commedia dell’arte : Arlequin et Pierrot. Puis il fut présent au sein des cirques au milieu du XIXème siècle. S’il a existé sous différentes formes, toutes seraient cependant liées par des rôles sociaux similaires, répertoriés en trois dynamiques : « le désamorçage des tensions sociales induit par la posture de bouc émissaire, la perturbation de l’ordre et la force de proposition créative par rapport à cet ordre et enfin, la médiation », explique Zed Cézard, docteur en sciences de l’art, et auteur du livre Les nouveaux clowns. Le maquillage exacerbé, la perruque extravagante et le nez rouge de l’« auguste » ont fait de lui une figure hors du commun. Malgré tout, le clown est imprégné d’une aura mystérieuse dont on peine à déceler l’identité. En effet, au-delà de l’artiste farceur du cirque et du clown hospitalier, le clown jouit, malgré lui, d’une réputation intrigante. L’ambivalence de cette figure ne fascine pas seulement le monde du cinéma que nous évoquerons plus tard, mais également celui de chanteurs qui n’hésitent pas à arborer des masques sataniques de clown dans leurs clips ou encore de photographes, comme l’américaine Cindy Sherman, qui a consacré une série entière aux clowns : toiles de fond psychédéliques, visages déformés par les artifices, elle s’approprie leurs mimiques en les caricaturant à l’extrême. Ses clichés, des autoportraits hauts en couleur, sont animés par une inquiétante étrangeté, et expriment ainsi à merveille l’ambiguïté du personnage.

 

Les clowns hospitaliers

L’apparition des clowns dans l’institution hospitalière contemporaine date de 1986. Michael Christensen, artiste de rue et clown du cirque, mit en place avec son équipe un programme de « clown-doctor » à New-York, qui conduisit en la création du « Big Apple Circus Clown Care Unit », dans lequel la tradition clownesque est adaptée au milieu médical. En France, outre la Fédération française de clowns hospitaliers (la FFACH), il existe diverses associations, comme les « clowns z’hôpitaux », les « clowns de l’espoir », les « Rêves de clown », le « Rire Médecin », les « instant à nez » etc. A l’hôpital, tout est mis en œuvre pour atténuer la souffrance des enfants ; les équipes médicales peuvent compter sur les clowns de ces différentes associations, spécifiquement formés à l'accompagnement de soins douloureux, souvent synonymes de détresse et de solitude. Avec la complicité du personnel soignant, ils participent au combat contre la souffrance, avec leurs armes à eux : jeux, tours de magie, pluie de bulles de savon, prestidigitations, parodies de la routine des soins, démystifications des procédures douloureuses etc. Ainsi, grâce à cette atmosphère ludique, l’enfant est apaisé et focalise son attention sur autre chose. Il retrouve alors, au contact des clowns, son droit d'être un enfant avant d'être un malade… et toutes ces mesures participent et contribuent au processus de guérison : un outil thérapeutique remarquable !

 

Du rire à l’effroi

Les premiers balbutiements du « clown effrayant » apparaissent au cinéma avec le rôle de Gwynplaine, dans L'Homme qui rit en 1928. Enfant, il fut enlevé et défiguré pour en faire un monstre de foire : ses joues furent incisées de la bouche aux oreilles, de façon à donner l'illusion d'un sourire permanent. Devenu adulte, il se produisit dans une troupe de comédiens. L’image de cette figure effrayante a été ternie par certains faits divers, comme ceux liés au tueur en série John Wayne Gacy, auteur de dizaines de meurtres de jeunes hommes américains dans les années 1970.  Ce dernier aimait se déguiser en clown pour amuser les enfants malades au sein des services hospitaliers. Des années plus tard, en 1986, Stephen King publia son roman Ça – dont le personnage est un clown qui terrorise et tue des enfants de sang-froid. A la télévision comme au cinéma, le clown est régulièrement utilisé pour incarner des rôles de sociopathes, par exemple dans le film « Joker » en 2008 ainsi que dans « Twisty », clown au masque en forme de bouche géante, issu de la série American Horror Story. Au-delà des ravages qu’ils perpètrent, les clowns dissimulent leur identité, limitant ainsi les risques d’être retrouvés par la police, ce qui accentue leur dangerosité au sein de la population. Cette figure est devenue l’incarnation même de la monstruosité, lorsqu’en 2016, des personnes déguisées en clowns semèrent la terreur aux États-Unis. Une vraie psychose s’installa déclenchant un phénomène massif de « coulrophobie », soit la peur irrationnelle des clowns.

 

Pourquoi ce personnage fait-il si peur ? 

« À bien des égards, les clowns sont la combinaison parfaite de choses bizarres », déclare Frank McAndrew, un psychologue social américain. Non seulement les clowns ont l'air espiègle et étrange, mais derrière leur maquillage, on ne sait pas vraiment qui ils sont, ni ce qu’ils ressentent. Ils tombent dans ce qu'on appelle « la vallée de l'étrange », une notion inventée dans les années 1970 par le roboticien Masahiro Mori. Selon lui, lorsqu’un objet atteint un certain degré de ressemblance anthropomorphique, il fait naitre chez le public une sensation d’angoisse, voire de malaise. L'idée est que nous aimons les robots qui ont quelque chose d’humain mais sommes repoussés par ceux qui ont l'air trop humains… L’idée s'applique également à d’autres objets ressemblant à des humains, comme les poupées, des mannequins, certains masques etc.

 

Que vous inspire cet article ? Les clowns ont-ils tendance à vous faire rire ou plutôt à vous effrayer… ?

 

Photo © Fotolia – Auteur : Olly

Betty_Nelly, 26.08.2021