Pourquoi les faits divers fascinent-ils autant ?

Pourquoi les faits divers fascinent-ils autant ?

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Vous allumez la télévision ou vous vous connectez à Internet pour connaître les derniers rebondissements d’une enquête. Vous avez échangé sur telle ou telle affaire avec vos proches ou encore vos collègues. Rassurez-vous, n’êtes pas la/le seul(e) ! En effet la fascination pour les faits divers est un sentiment très largement partagé. Mais pourquoi ces faits passionnent-ils autant ? Que représente cette facette obscure et subjective de la nature humaine dans notre quotidien ? Une curiosité mal placée, une empathie exacerbée, un prétexte pour créer des liens ou pour se rassurer ? Nous allons essayer de répondre à ces questions.

 

Passion ancienne, évolution des valeurs, rôle des médias

Selon Daniel Zagury, expert psychiatre et auteur de La Barbarie des hommes ordinaires, la fascination pour les faits divers a toujours existé et ceux-ci font la une des journaux depuis le 19ème siècle. D’ailleurs en 1928, Gaston Gallimard fonda le journal Détective, devenu aujourd’hui Le Nouveau Détective. Lucie Jouvet-Legrand, docteur en sociologie et anthropologie, explique que l’émotion est toujours immense à chaque drame, mais pas toujours pour le même genre d’histoires. « Ce ne sont pas les mêmes faits qui vont aujourd’hui heurter l’opinion publique que ceux qui l’ont fait il y a plus d’un siècle. Cela dépend des valeurs véhiculées dans la société à un moment donné. Le fait de toucher à des enfants par exemple, ça heurte profondément. Or l'enfant n’a pas toujours eu ce statut d’être sacré et innocent à protéger… Maintenant les valeurs ont changé ».

Les médias ont leur part de responsabilité dans cet intérêt démesuré pour les faits divers. Ils créent des feuilletons qui tiennent le grand public en haleine en distillant les informations petit à petit. Mais si les médias mettent en avant ces faits, n’est-ce pas pour satisfaire une certaine demande ? La une des journaux sur un couple ordinaire qui s’entend parfaitement aurait-elle autant d’audience ? Non. Bizarrement, le traitement médiatique va dans le sens de l’intérêt pour l’inquiétude, une matière sensible, qu'il faut considérer comme un des aspects complexes de l’histoire humaine, sans oublier que les faits divers font vendre les journaux.

 

La fascination, une attitude condamnable ?

S'intéresser à ces grands drames humains est-il forcément malsain ? Des rebondissements inattendus, des témoignages accablants, des questions sans réponses, provoquent effectivement une fascination voire une certaine « excitation ». « Cela peut relever d’un certain voyeurisme », concède Catherine Granaix, psychologue, le voyeurisme étant une attitude qui consiste à regarder l’intimité d’une personne en éprouvant une certaine jouissance. « C’est un peu comme les gens qui ralentissent pour regarder les accidents sur la route », ajoute-t-elle. À en croire diverses études, il s’avère une fois de plus que cette attitude est inhérente à la nature humaine. Le potin, et tout ce qui s’y apparente, serait transmis au cerveau de façon bien plus précise que le reste des informations que l’on peut s’échanger. Concrètement, l’homme communique bien mieux dès qu’il raconte des histoires croustillantes. Ainsi, discuter de faits-divers permet de créer des liens.

 

Un renforcement du lien social

Daniel Zagury affirme que la fascination pour le fait divers nous concerne tous à un niveau inconscient et nous font maturer sur le plan psychique. Elle surgit brutalement dans notre quotidien et renvoie aux soubassements de la condition humaine.  Dans une discussion autour d’un fait divers, il y a peu de place pour les disputes : tout le monde s’accorde à dire que, par exemple, dans l’affaire Daval, le mari est un monstre. Sans parler du fait qu’on finit souvent par suivre ces affaires comme on suivrait assidûment une série policière. « C’est une mise en intrigue », confirme Lucie Jouvet-Legrand. « Et cela tient l’homme de la rue en haleine ». Partout les gens se rapprochent pour échanger sur le caractère manipulateur d’un meurtrier (« On ne comprend pas » ou « C'était un gentil voisin », partout les gens expriment leur empathie envers les victimes et leur stupéfaction face à la barbarie. Ces élans d’émotions diverses contribuent indéniablement à renforcer les liens sociaux.

 

Identification et rassurement

Selon Lucie Jouvet-Legrand, les victimes, que ce soit dans l’affaire Maëlys ou dans l’affaire Alexia Daval, peuvent permettre à un grand nombre de personnes de s’identifier. Pour la chercheuse, il existe une part de mythologie dans ces histoires qui font frissonner le grand public. Dans le cas d’Alexia Daval, présentée au début de l’affaire comme une femme tuée pendant son jogging, on joue sur une certaine peur collective que les femmes peuvent ressentir quand elles vont courir seules, alors qu’au regard du nombre d’homicides en France, c’est absolument exceptionnel, mais on en parle énormément. Ce mécanisme joue d’autant plus que la situation suscite effectivement l’identification. Les histoires de faits divers passionnent parce que ce sont des histoires de « gens ordinaires », qui ressemblent aux lecteurs, qui du coup se sentent impliqués. Ces faits divers ont également un caractère rassurant dans la mesure où, comparant l’acte de barbarie avec notre vie personnelle, nous pouvons jouir d’une situation hyper privilégiée. C’est une sorte de plaisir par comparaison, une réassurance par contraste. « On est dans quelque chose de plus grave que notre vie quotidienne et, paradoxalement, cette gravité plus grande introduit une nuance dans notre inquiétude », indique le psychiatre Michel Lejoyeux.

 

Quel est votre avis sur le sujet ? Selon vous, pourquoi les faits divers passionnent-ils autant ? Vos commentaires nous intéressent.

 

Photo © Fotolia – Auteur : Philippe Devanne

Betty_Nelly, 30.05.2018